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Emile QUERANGAL
(1807-1846)
Daguerréotypiste sédentaire et itinérant
Dans "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" daté du 29 juillet 1843 et les semaines suivantes, Emile Quérangal annonce qu’il "fait des portraits au daguerréotype, de 5 à 10 fr, en 30 secondes à l’ombre ; il fait aussi des portraits daguerréotypés en couleur naturelle à 25 fr (ressemblance garantie) et qui ne miroitent comme tous ceux qu’on a fait. Il s’engage aussi à colorier les épreuves déjà faites au daguerréotype sans altérer la ressemblance, à 10 francs. il fournit aussi des appareils à l’épreuve, de différentes dimensions, garantis, et dans quatre leçons il apprend à opérer". A notre connaissance, Quérangal a été le premier qui a proposé de faire des portraits au daguerréotype à Saint-Brieuc, préfecture des Côtes-du-Nord. (2) Ce n’était pas un itinérant de passage mais un artiste briochin.
Fils d’un négociant, Emile Servan Marie Quérangal (patronyme souvent orthographié Kérangal) est né le 5 février 1807 à Saint-Brieuc où il s’est marié le 28 janvier 1834 ; il est alors propriétaire et peintre. Durant l’été 1843, alors qu’il commence à faire des portraits au daguerréotype, il participe à l’exposition des produits du département - section peintures et dessins. Il montre huit tableaux à l’huile dont deux portraits.(3) Le 30 décembre 1843, "Le Publicateur" s’intéresse à nouveau au travail de Quérangal et y va fort : "Les portraits au daguerréotype sont aujourd’hui tellement répandus qu’il n’est personne qui ne possède le sien au nombre de trois ou quatre exemplaires..." (!) "Notre concitoyen M. Em. Kérangal, après de longs et nombreux essais, est parvenu à obtenir ces portraits d’une manière quelquefois remarquable par leur ressemblance. Les prix très modérés auxquels il les a fixés permettent à chacun de s’en procurer plusieurs. Il ne faut poser que 30 à 35 secondes." (4) Une semaine plus tard, dans une annonce publicitaire, l’artiste précise "les prix très modérés" de ses portraits au daguerréotype dont il garantit "une ressemblance parfaite" : Grand portrait : 15 fr ; quart de plaque : 8 fr ; sixième de plaque 5 fr. les mêmes coloriés coûtent 5 fr de plus.(5) Si Quérangal donne ses tarifs, c’est pour que les habitants de Saint-Brieuc les comparent avec ceux pratiqués par un artiste de passage dans leur ville. M. Beaumont était l’un de ces nombreux artistes qui séjournaient quelques semaines dans une ville de province où ils faisaient des portraits à la chaîne. Le développement du daguerréotype durant les années 1840 était une sérieuse menace pour les peintres qui dédaignaient cette technique. Le 3 février 1844, le rédacteur du "Publicateur" annonce l’arrivée de M. Beaumont à Saint-Brieuc mais ne peut s’empêcher de mentionner le travail de Kérangal. Les deux artistes, avec une technique différente, avaient un objectif commun : la fameuse "ressemblance". Dans cet article, on apprend que Beaumont à Guingamp aurait fait 81 portraits en 76 jours puis 40 à Tréguier. "... enfin, depuis trois ou quatre semaines qu’il est dans nos murs il a déjà peint 30 personnes, et, avouons-le, il a saisi avec beaucoup de bonheur la ressemblance de plusieurs d’entr’elles. On conçoit que peignant si rapidement, il doit réduire le prix de ses portraits ; aussi ne prend-il que 60 fr, ce qui lui laisse encore, au reste, un joli bénéfice, pour le temps qu’il y consacre et déduction faite de ses toiles et de ses peintures. M. Beaumont a l’espoir de faire ici une centaine de portraits. Nous croyons, eu égard au chiffre de la population aisée et au bas prix auquel il fixe ses honoraires, qu’il ne peut manquer d’atteindre ce nombre : ce double talent de faire vite et de saisir souvent la ressemblance de la manière la plus frappante, lui assurera de l’occupation partout. Tandis que cet artiste peut à peine suffire à l’empressement du public, M. Emile Kérangal qui, par une assez longue pratique, a acquis la manipulation du daguerréotype, continue à opérer avec cet instrument. Il a déjà reproduit un grand nombre de nos concitoyens dont plusieurs ont été saisis d’une manière assez heureuse. Il n’exige qu’une pose de 35 à 40 secondes. Mais voilà qu’il va pouvoir encore abréger ce temps. M. Arago vient d’annoncer à l’Institut que Daguerre a trouvé le moyen de reproduire une image en la millième partie d’une seconde ! On ne peut prévoir jusqu’où les perfectionnements de cet instrument nous conduiront. Nous vivons en un temps de miracles." (6) Contrairement à ce qu’avançait le rédacteur du "Publicateur" peu de gens avaient les moyens de se payer un portrait au daguerréotype d’où la nécessité de se déplacer pour aller au-devant de la population aisée. Après avoir opéré un peu plus d’un an à Saint-Brieuc, Quérangal en septembre 1844, avait débuté un périple de sept mois "pendant lesquels il a parcouru les principales villes de Bretagne". Il est de retour à Saint-Brieuc en avril 1845 mais fait savoir qu’il n’y restera qu’une quinzaine de jours étant appelé ailleurs. (7) On ne sait où l’artiste était "appelé". Il n’est plus question de lui dans "Le Publicateur des Côtes-du-Nord " avant son décès le 19 octobre 1846 à l’âge de 39 ans.
Sources :
(1) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" du 29 juillet 1843. La dernière annonce est publiée dans cet hebdomadaire le 2 septembre 1843. Consultable en ligne sur le site des Archives départementales des Côtes d’Armor
(2) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" daté du 27 juin 1840 consacre un long article aux courses hippiques de Saint-Brieuc les 29-30 juin et 1er juillet 1840. Ces courses n’étaient pas la seule distraction. Les organisateurs avaient prévu un grand bal champêtre. Ils avaient invité le célèbre peintre de marine Gudin. Le rédacteur de l’article ajoute "N’oublions pas que le merveilleux instrument connu sous le nom de Daguerréotype doit, pour la première fois, fonctionner à Saint-Brieuc, pendant ces fêtes. Quel malheur que cet instrument dont le soleil conduit le pinceau, ne saisisse que ce qui est immobile et comme privé de vie ! Il eût pu rivaliser avec l’illustre Gudin". Dans les numéros suivants du "Publicateur" il est question des courses, du bal et de Gudin mais rien sur le daguerréotype. A croire que le soleil n’était pas là pour conduire le pinceau.
(3) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" du 23 septembre 1843.
(4) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" du 30 décembre 1843.
(5) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" des 6 et 13 janvier 1844.
(6) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" du 3 février 1844.
(7) "Le Publicateur des Côtes-du-Nord" du 19 avril 1845.