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Emile ROBERT
(1830-1890)
Photographe d'atelier
Emile Adolphe Robert est né le 25 mai 1830 à Melun (Seine-et-Marne) où son père, Eugène Robert, était dessinateur et employé au service du cadastre. Après avoir quitté Melun, Eugène Robert vivra à Paris avant de s’installer à Tannay, un bourg de la Nièvre où il sera instituteur et secrétaire de mairie. Dans sa classe, Eugène Robert aura pour élèves ses quatre enfants : Joseph Eugène (1824- ?) l’aîné, sera professeur de musique, Emile, photographe et peintre. Ernest Adolphe (1833-1899) photographe mais surtout historien (1) ; leur sœur Clarisse (1837-1899) épousera en 1861 Louis Augustin Chapuis, peintre en décors.
En 1848, Emile Robert est élève-maître à l’Ecole normale primaire de Bourges (Cher) où il se distingue en dessin linéaire et en plain chant. Deux ans plus tard, le 30 avril 1850, il se marie à Dornecy (Nièvre) un bourg de 1 200 habitants où il est instituteur privé. Son épouse, Zélie Baron, est la fille d’Hippolyte Baron, entrepreneur de travaux publics.
LA RESISTANCE NIVERNAISE AU COUP D’ETAT : Le 2 décembre 1851 au matin, les Parisiens découvrent une affiche collée discrètement sur les murs de la capitale pendant la nuit. Louis Napoléon Bonaparte, élu président de la République trois ans plus tôt, vient de décréter la dissolution de l’Assemblée nationale, prélude à la proclamation du Second Empire un an plus tard. A Paris, la résistance au coup d’Etat est écrasée dès le 4 décembre. La province prend le relais, notamment dans le Sud-Est et en Bourgogne. A Clamecy, sous-préfecture de la Nièvre, plusieurs centaines de personnes se rassemblent le 5 décembre, défoncent les portes de la prison, occupent la mairie et la sous-préfecture. (2) Les insurgés sont rejoints le lendemain par les républicains des alentours. A Dornecy, Emile Robert, son beau-père Hippolyte Baron et le tailleur de pierre François Bouillery prennent la tête d’une colonne qui se dirige vers la sous-préfecture où s’assemblent 1 500 à 2 000 opposants au coup d’Etat. Le 7 décembre, le préfet de la Nièvre envoie l’armée rétablir l’ordre à Clamecy. Le citoyen Chapuy, marchand de plâtre, et quatre autres personnes s’offrent pour parlementer avec le préfet. Ils sont fusillés sur place avant d’avoir pu plaider leur cause. Dès que les premiers soldats s’approchent de Clamecy, beaucoup de paysans regagnent leur village. Le soir du 7 décembre, les derniers insurgés se dispersent. Pour échapper à la répression, en l’occurrence une déportation à Cayenne, Emile Robert s’enfuie ainsi que ses beaux-parents, Hippolyte et Françoise Baron. Quand son épouse accouche le 12 juin 1852 à Dornecy de leur fils aîné Aristide (un futur communard), Emile Robert est en fuite et sans domicile connu. Peut-être s’était-il caché dans la capitale où sa femme l’aurait rejoint. Leur fils cadet, Paul, est né à Paris le 25 mars 1856. Son acte de naissance reconstitué en 1875 ne précise ni le domicile de ses parents, ni la profession exercée par son père.
EXIL A MADRID : Par la suite, Emile Robert s’exile. Après un passage en Angleterre, puis en Irlande, il s’installe en Espagne où il sera rejoint par Hippolyte Baron et son épouse ainsi que leur fille Justine épouse de Jean-Pierre Doassans. (3) C’est à Madrid qu’Emile Robert commence sa carrière de photographe professionnel. Avec succès. La reine Isabelle lui demandera de faire son portrait.
LA PHOTOGRAPHIE EN COULEURS : En 1868, « Le Petit Journal » honorera, très abusivement, Emile Robert du titre d’inventeur de la photo-couleur. (4) C’est en Espagne, qu’il s’attaque, comme tant d’autres avant lui, à ce serpent de mer : la photographie en couleurs. Il met au point le procédé dit Photocolor dont la presse espagnole aurait souvent parlé. Nous ne sommes pas documentés sur ce procédé pour lequel Emile Robert ne déposera pas de brevet d’invention à son retour en France. En 1867, la Société des sciences industrielles et belles lettres de Paris lui décernera une médaille d’or pour son procédé fixant les couleurs « d’une façon inaltérable » et permettant d’obtenir « des dégradés de ton d’un grand fini ». (5) Deux ans plus tard, en 1869, il exposera à la Société française de photographie des spécimens de son procédé en couleurs. (6) En novembre 1869, la « Revue britannique » annonce à ses lecteurs que « la photographie vient de s’enrichir d’une nouvelle découverte que nous nous empressons de signaler. Jusqu’à ce jour les nombreuses tentatives faites pour appliquer la peinture à la photographie n’avaient donné que des résultats très incomplets. M. Emile Robert a trouvé un procédé à l’aide duquel il est parvenu, en vingt minutes, à faire d’une épreuve peinte, et soumise ensuite à une préparation qui constitue le mérite de son invention, une peinture remarquable, c’est-à-dire un véritable portrait. Nous avons vu dans les ateliers de M. Emile Robert, rue de la Grange-Batelière, n°12, quelques spécimens de portraits dus à son procédé, et nous aimons à constater que leur modelé et leur vigueur de tons, égalent ceux des meilleurs portraits peints, sans altérer en rien l’exactitude des traits. On se rendra compte aisément des services qu’est appelée à rendre a découverte de M. Emile Robert si l’on considère qu’une reproduction fidèle des tableaux des grands maîtres peut être obtenue en vingt minutes et à un prix suffisamment modéré ». (7)
PHOTOGRAPHE A PARIS : Emile Robert serait revenu en France en 1865. C’est peut-être à la fin de l’année 1866 (8) qu’il ouvre un atelier de photographie 12, rue Grange-Batelière à Paris (9e). Pour financer ce projet, il a créé la société Emile Robert et Cie sans que l’on connaisse le nom de ses associés. Dans son atelier parisien, Emile Robert fera le portrait de Prosper Mérimée, de Sainte-Beuve, de Victor Hugo. Plus étonnant de la part d’un opposant au coup d’Etat, Emile Robert sera invité en mai 1868 à photographier la famille impériale aux Tuileries. (9) Quelques jours plus tôt, il était venu aider M. Guyot de l’Isle qui avait exposé devant l’Empereur ses nouvelles découvertes sur l’application de la lumière au magnésium. En juin 1868, il photographie dans son atelier le prince impérial, alors âgé de 12 ans. Un beau portrait mais qui reste en deçà de celui de Disdéri quatre ans plus tôt. De même, le portrait de Félix Pyat (10) qu’Emile Robert a fait en 1869 a moins de force que celui de Nadar. Le 25 mai 1870, Emile Robert est déclaré en faillite (11) mais il poursuit son activité avec l’aide son fils Aristide et de son frère Adolphe qui est caissier.
BRUXELLES : Au verso de quelques portraits, Emile Robert mentionne sous l’adresse de son atelier parisien celle d’un autre à Bruxelles 36, rue de la Fosse aux loups où opérait A. Delabarre. Cet atelier bruxellois n’était pas vraiment une succursale. Emile Robert avait autorisé A. Delabarre à utiliser en Belgique le procédé dont il était l’inventeur. Le photographe belge a travaillé un temps avec Adolphe Robert, le frère cadet d’Emile. (12) Quelques portraits faits à Bruxelles sont effectivement signés A. Delabarre et Cie mais la grande majorité l’est de Delabarre seul.
LA COMMUNE DE PARIS : Le 25 mai 1871, Emile Robert a 41 ans. Depuis deux jours, les troupes versaillaises (130 000 hommes) livrent un combat acharné aux communards, beaucoup moins nombreux, qui se sont barricadés. La dernière barricade est prise le 28 mai. C’est la fin de la Semaine sanglante. On estime à 10 000 le nombre d’hommes et de femmes qui ont été tués -souvent fusillés- par les Versaillais. Emile Robert ne s’est pas battu même s’il était proche des communards (13) mais son fils Aristide prendra les armes. Arrêté, il passera six ans dans un bagne en Nouvelle-Calédonie. (14) Inquiet pour lui, le photographe écrit à Victor Hugo pour obtenir son soutien. En mai et juin 1871, Emile Robert arpente les rues de Paris et de sa banlieue et photographie les grands monuments détruits par les incendies : le ministère des finances, le Palais de justice, les Tuileries, l’Arsenal, le Palais-Royal. Les ruines de Paris après la Commune ont été un sujet de prédilection -une manne- pour d’autres photographes connus (Disdéri, Adolphe Braun, Alexis Liébert). Leurs épreuves ont été largement diffusées alors que le travail d’Emile Robert est resté plus confidentiel. (15) En 1872, Emile Robert et sa femme font un long séjour à Mulhouse. (16) Le 8 février, Zélie Robert reçoit un petit mot de Victor Hugo : « Je félicite M. Votre Mari de son succès à Mulhouse ; c’est un commencement de retour au bonheur ». Le 14 octobre, c’est au photographe que l’écrivain adresse un billet « Je viens, Monsieur, de recevoir votre magnifique envoi. Vous êtes un artiste rare. Le groupe est un chef d’œuvre. La princesse M. est une merveille. Je n’ai pas ici mon portrait grand format, mais vous l’auriez aisément chez Carjat. Je ne m’étonne pas de votre succès. Ce que vous faîtes est vraiment beau ». De retour à Paris, Emile Robert reprend son travail de photographe. C’est en 1875 qu’il aurait fait le portrait de Victor Hugo.
PEINTRE MINIATURISTE A NICE : En 1880, Emile Robert est peintre miniaturiste à Nice (Alpes-Maritimes). Ses portraits sont exposés tous les jours villa Abbo, rue Grimaldi. (17) En 1883, il prend la présidence du Cercle de l’Athénée, ouvert cinq ans plus tôt où se retrouvent des artistes et des intellectuels. Après avoir travaillé rue Grimaldi, Emile Robert déménage rue Saint-François-de-Paule. Là, près du bord de mer, il expose en novembre 1886, des fusains et des miniatures. Il peint aussi sur la soie et le satin et donne des leçons particulières. La présence d’Emile et Zélie Robert à Nice est attestée jusqu’en 1887. Ensuite, ils reviennent à Dornecy où ils s’étaient mariés quarante ans plus tôt. Emile Robert y est décédé le 27 août 1890.
Cette notice doit beaucoup à celle publiée dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier de Jean Maitron dont les auteurs sont Pierre Baudrier et François Gaudin.
https://maitron.fr/spip.php?article195791, notice ROBERT Émile, Adolphe par Pierre Baudrier et François Gaudin, version mise en ligne le 2 octobre 2017, dernière modification le 11 octobre 2022.
Notes et sources :
(1) Voir la notice biographique d’Adolphe Robert dans le Maitron.
https://maitron.fr/spip.php?article229853, notice ROBERT Ernest, {Adolphe}, dit Charles BRÉMONTIER par Notice complétée par François Gaudin, version mise en ligne le 4 juillet 2020, dernière modification le 3 mai 2022.
(2) Sur les évènements de Clamecy :
– Adolphe Robert (le frère d’Emile) « Statistiques pour servir à l’histoire du 2 décembre 1851 ». Paris 1869 Chap. LXIII page 162 et suivantes. (Consultable en ligne sur Gallica),
- Simone Waquet « Clamecy et la résistance au coup d’Etat » Bulletin de l’Association 1851-2001 Pour la mémoire des Résistances républicaines n°8 février-mars 200 Consultable en ligne https://1851.fr/lieux/clamecy/
(3) C’est sans doute à Madrid que Justine Baron épousa Jean-Pierre Doassans né à Garlin (Pyrénées-Atlantiques) en 1827. Leur fils Hippolyte est né à Madrid le 12 octobre 1865. Après avoir quitté l’Espagne, le couple s’installera à Oran (Algérie) où Justine Doassans, née Baron, décèdera le 6 avril 1879.
(4) Gallica - « Le Petit journal » du 30 mai 1868.
(5) Gallica - « Le Charivari » du 7 décembre 1867.
(6) Jean-Marie Voignier « Répertoire des photographes de France au XIXe siècle ». (1993).
(7) Gallica - « Revue britannique » du 1er novembre 1869.
(8) En 1865, Charles Emile Mangel du Mesnil se porte acquéreur pour la France et la Belgique du brevet d’invention des nouveaux procédés du photographe allemand Wolthly. Pour exploiter ce brevet, il fonde une société au capital de 200 000 F. et s’installe dans un atelier 12, rue Grange-Batelière. Il est domicilié à cette adresse au moins jusqu’en octobre 1866. Reste à savoir à quelle date Emile Robert l’a remplacé.
(9) Gallica - « Le Petit journal » du 30 mai 1868.
(10) C’est au profit des victimes d’Aubin qu’Emile Robert a fait le portrait du journaliste et futur communard Félix Pyat qui séjournait à Paris entre deux exils. Le 8 octobre 1869, à Aubin (Aveyron) des soldats mandatés par le préfet tirèrent sur des ouvriers en grève de la compagnie Paris-Orléans. La fusillade fit 17 victimes dont deux femmes et un enfant de 7 ans. (Gallica - « Le Rappel » du 29 octobre 1869.) Wikipedia La fusillade d’Aubin https://fr.wikipedia.org/wiki/Fusillade_d%27Aubin
(11) Archives de Paris D.11U3 668, dossier n°13479
(12) Au premier trimestre 1866, Adolphe Robert est photographe à Lille (Nord) où il opère dans un atelier situé place Impériale au coin de la rue Beauharnais. L’annonce pour la Photographie Nouvelle d’Adolphe Robert est insérée dans « Lille Artiste » à partir du 11 février et jusqu’au 15 avril 1866. Cet hebdomadaire est consultable en ligne sur Gallica. En juillet 1866, Adolphe Robert part à Bruxelles où il va travailler avec Delabarre. (FOMU foto museum directory of Belgian Photographers https://fomu.atomis.be/index.php/robert-emile;isaar Après avoir quitté la Belgique, il sera le caissier de l’atelier d’Emile Robert à Paris.
(13) Outre Félix Pyat, Emile Robert a fait le portrait de plusieurs communards, notamment Ferdinand Gambon, la chanteuse Rosa Bordas et le Nivernais Pierre Malardier. En 1871, le photographe déposera une plainte parce que la police avait saisi des papiers qu’il avait déposés chez son ami Eugène Chatelain qui était pendant la Commune membre du comité central de la Garde nationale. Après la Semaine sanglante à laquelle il a participé, Chatelain s’exile à Londres (Les Amies et Amis de la Commune de Paris 1871) https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-artistes-et-la-commune/803-eugene-chatelain-poete-oublie-de-la-commune
(14) Coupable d’avoir dans un mouvement insurrectionnel porté une arme et un uniforme », Aristide Robert, qui n’a pas 20 ans, est condamné le 5 février 1872 par le 11e conseil de guerre à la peine de déportation simple Le 1er janvier 1873, il embarque à Saint-Martin-de-Ré sur le transport à vapeur « L’Orne ». Le 3 mai 1873, il débarque à l’île des Pins en Nouvelle-Calédonie. Après avoir passé six ans sur l’ile, il quitte la Nouvelle-Calédonie le 29 mai 1879. (Archives nationales d’outre-mer – Base de données des dossiers individuels de condamnés au bagne. Fr Anom Col. H 99). Deux ans plus tard, le 22 mars 1881, Aristide Robert, peintre à Paris, épouse à la mairie du 20e arrondissement Maria Anna Gaussery, boutonnière. Il a pour témoin Jean Allemane (prénommé Jules sur l’acte), ouvrier typographe. Sur Jean Allemane, communard condamné au bagne en Nouvelle-Calédonie, voir la notice du Maitron. https://maitron.fr/spip.php?article24464
(15) Sur le travail des photographes pendant --et juste après- la Commune de Paris, voir : « Le Temps des cerises – La Commune de Paris en photographies » sous la direction de Jean Baronnet et Xavier Canonne. (2011) et « La Commune – Paris 1871 » Photo Poche Histoire n° 2 (1998).
(16) Emile Robert n’est pas parti à Mulhouse par hasard. C’est là que travaillait son confrère Adolphe Braun qu’il connaissait sans doute. A Mulhouse, la Maison Braun s’était notamment spécialisée dans la reproduction d’œuvres d’art (tableaux, sculptures) conservées dans les grands musées européens. (Christian Kempf « Adolphe Braun et la photographie » 1994). Un sujet auquel Emile Robert s’intéressait lui aussi (voir supra) mais avec une approche différente
(17) Gallica - « La Vie mondaine à Nice » du 5 décembre 1880.