Eugène THIEBAULT

(1826-1880)
photographe d'atelier
8 photographies

Paris Seine

Photographe parisien sous le Second Empire, Thiébault est connu pour ses vues stéréoscopiques et ses portraits de célébrités : la famille impériale, le pape…  mais aussi  l’actrice Blanche Delaporte qui lui fera un procès. En 1861, c’est un autre procès retentissant qui passionnera le public. Il opposera deux femmes : l’épouse légitime du photographe et sa maîtresse, Léonide Turc. La première vitriolera la seconde mais bénéficiera de la clémence des juges.

Etat civil

Jean Pierre Eugène Thiébault serait né le 22 février 1826 en Moselle. Il est encadreur à Paris quand il épouse le 22 février 1851 Alexandrine Yvoret (1829-1896) qui est giletière. son frère Amable Yvoret, sera photographe à Paris sous le Second Empire..  Le couple Thiébault aura une fille unique Désirée Eugènie  (1851- ?). Agée de 16 ans, elle épouse à Enghien-les-Bains (Val d’Oise) le 1er août 1868, Paul Bacard (1845- 1905), photographe comme son père Louis Pierre Bacard ( ?-1878).

 Eugène Thiébault est décédé à Enghien-les-Bains le 24 mars 1880, seize ans avant son épouse.

Adresses de ses ateliers

Paris - 31, boulevard de Bonne-Nouvelle : Thiébault aurait été actif  dans cet atelier dès la seconde moitié des années 1850. Il ouvrira ensuite une annexe à Belleville. En 1861, il confie la gérance de son atelier parisien à Pierre Betbeder qui y exercera plusieurs années.  En  1868,  Paul Bacard, le gendre d’Eugène Thiébault   s’installe boulevard Bonne-Nouvelle et signe ses photographies « Photographie Thiébault – Bacard fils, successeur ». Bacard divorce en mai 1887 et part en province.  Il sera remplacé par Gaudin, Eugène Thiébault restant propriétaire du fonds de commerce. C’est sa veuve qui le cédera à une dame Gaudin en décembre 1888 (Archives commerciales de France).

Saint-Denis - 15, rue du Port.

Enghien-les-Bains – 15, rue de l’Arrivée et 8-10, rue du Nord. Les Thiébault sont recensés à cette adresse en 1872 et 1876.

« Une large aisance bourgeoise »

Sous le Second Empire, un bon photographe parisien pouvait, après seulement quelques années d’exercice, vivre très bourgeoisement. Eugène Thiébault en est un bon exemple. En 1860, quand son épouse agresse  violemment Léonide Turc, la maîtresse abhorrée (voir infra), le couple possède le fonds de commerce du boulevard Bonne-Nouvelle, des ateliers importants à Belleville et une propriété à Enghien (51 200 Fr). Dans cette ville, ils feront d’autres acquisitions foncières en 1864 et 1866 pour un coût total de 17 000 Fr. Après l’agression de Léonide Turc par son épouse légitime, Eugène Thiébault, pour étouffer l’affaire, propose au commissaire de police d’Enghien de lui verser 20 000 Fr. Trois ans plus tard, Thiébault recrute un ouvrier photographe  nommé Platel qui percevra un salaire mensuel de 300 Fr. Pour gagner l’équivalent du pot-de-vin refusé par le commissaire d’Enghien, il aurait fallu que le sieur Platel travaille plus de cinq ans.

Enfin,   preuve de leur appartenance à la bonne société, les Thiébault offrent à leurs amis une soirée artistique à Enghien annoncée dans « Le Figaro » » du 23 septembre  1871. On y donna entre autres « Les Noces de Jeannette ».

Un photographe des célébrités

Napoléon III, l’impératrice Eugénie, le prince impérial, le shah de Perse, le pape « photographié d’après nature »  et tant d’autres ont posé pour Eugène Thiébault.  Exposer leur portrait dans son atelier, les vendre,  était une source de revenus non négligeable. D’autres photographes plus connus et plus talentueux que Thiébault faisaient de même. « La Revue photographique » s’en amuse en 1860 : « Il y a cinq ou six ans, lorsqu’un provincial ou un étranger quittait Paris après avoir contemplé à l’étalage des marchands de lithographies les traits d’une trentaine de nos célébrités contemporaines, il était heureux. Aujourd’hui, il lui suffit de s’arrêter un quart d’heure devant la vitrine de Mayer ou de Disdéri pour connaître de vue les membres de la famille Impériale, nos ministres, nos généraux, nos ambassadeurs, et tout ce que la France compte de banquiers dix fois millionnaires, d’écrivains célèbres, de compositeurs fameux, de savants illustres, de peintres en renom, d’acteurs applaudis, d’actrices  en vogue et de pianistes à fracas. »

Au mois d’octobre 1858, Marie Delaporte, jeune actrice,  entre dans l’atelier d’Eugène Thiébault situé juste en face du Théâtre du Gymnase où elle joue.  Le photographe accepte de faire gratuitement quatre portraits -dont deux en pied- de l’actrice. Il pourra  les exposer dans ses salons mais pas les vendre excepté à Marie Delaporte ou des personnes envoyées par elle.   Plus tard, l’actrice vêtue de divers costume de théâtre, posera à nouveau dans l’atelier de Thiébault pour des portraits de petites dimensions destinés à être regardés dans un stéréoscope. Ces portraits-là Thiébault en vend un certain nombre. Delaporte père, agissant pour sa fille qui est mineure, saisit le tribunal civil de la Seine. Il demande que la vente des vues stéréoscopiques soit interdite et que Thiébault soit condamné à verser 500 Fr de dommages-intérêts. Le 27 avril 1860, le tribunal lui donne tort. L’avocat de Thiébault avait plaidé que l’accord passé avec Marie Delaporte ne pouvait en aucun cas s’appliquer à des vues stéréoscopiques trop petites pour être exposées et qu’il était juste que le photographe qui avait travaillé gratuitement se rémunère par la vente de ces vues.

Nouveau procès en 1862, les photographes Mayer & Pierson intentent un procès à Thiébault et à Betbeder pour la contrefaçon d’un portrait du comte de Cavour. Thiébault fait valoir qu’il avait confié la gérance de son atelier du boulevard Bonne-Nouvelle à Betbeder. De plus, au moment des faits, il se trouvait en Italie. Il est mis hors de cause.

Outrage aux bonnes mœurs

Dans son « Répertoire des photographes parisiens du XIXe siècle, », François Boisjoly  indique qu’Eugène Thiébault a été poursuivi pour outrage aux bonnes moeurs en 1855 et 1858. Nous n’en avons pas trouvé de mention dans la presse de l’époque. Par contre, il a été jugé pour le même délit, en 1865. Thiébault avait reconnu chez un marchand des photographies qui avaient été volées par un ancien employé le sieur Lebel-Castel. En perquisitionnant chez celui-ci, la police trouve des photographies obscènes qui proviennent de l’atelier de Thiébault. Au domicile du photographe, les policiers découvrent d’autres clichés contraires aux bonnes mœurs. Les deux hommes sont poursuivis  pour avoir commis le délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, en publiant, en mettant en vente et en vendant des photographies représentant des sujets obscènes. Le 22 juillet 1865, le tribunal correctionnel condamne Thiébault à une année d’emprisonnement et 100 Fr d’amende. Le photographe fait  appel.  Au mois d’août, l’affaire revient devant les juges qui réduisent la peine d’emprisonnement à trois mois. Leur argumentation est un peu tordue : « Attendu que s’il est constant, en fait, que Thiébault a, depuis moins de trois ans,   donné à  quelques-uns de ses employés des photographies représentant des sujets obscènes, et qu’il a fait coller et satiner quelques-unes de ces photographies, il n’est pas établi qu’il les ait fait  préparer pour les vendre ni même qu’il en ait vendu. »

Quelle bienveillance soudaine de la magistrature ! A qui fera-t-on croire que Thiébault prenait le risque de faire dans son  atelier des photographies obscènes uniquement pour les offrir à ses employés. Pour assurer son train de vie bourgeois, la vente de ces photographies était d’un bien meilleur rapport que le portrait du pape ou du shah de Perse.

         Une liaison dangereuse, un procès retentissant

Léonide Turc était « une institutrice, fort bien élevée, excellente musicienne, très blonde, minaudière, nonchalante… » Elle se rend dans l’atelier d’Eugène Thiébault  pour qu’il fasse son portrait. « Il me reçut dans une pièce où ne pénètre pas sa femme, se montra très galant, très empressé, et témoigna le désir de me revoir. » Voilà comment débuta la liaison du photographe et de la « très blonde », laquelle avait un autre amant.

Alors âgée de 29 ans, Alexandrine Yvoret, épouse Thiébault, était une femme « probe, honnête, laborieuse et tous points irréprochable ». Honnête mais pas dupe.  Son mari découchait beaucoup pendant qu’elle veillait sur leur fille unique qui était gravement malade. Quand la petite recouvre la santé, Mme Thiébault débarque à Belleville dans les ateliers de son mari  Elle y découvre Léonide Turc « installée chez moi ». Elle revient quelques jours après et trouve « cette femme couchée dans son propre lit ». Hors d’elle, elle arrache une poignée des cheveux de sa rivale. Le photographe installe sa maîtresse dans un autre logement. En pure perte, son épouse qui le faisait suivre  fait une descente au 66, rue de Paris. Léonide Turc s’est enfermée dans sa chambre d’hôtel. Qu’importe ! La femme légitime fait venir un serrurier qui ouvre la porte et découvre la « minaudière »  cachée « dans un pan d’armoire ». Du vrai théâtre de boulevard.  Mme Thiébault ne désarme pas. Elle poursuite la maîtresse de son mari à l’hôtel de l’Europe. Là, Léonide aurait incité son amant à s’enfuir en passant par la fenêtre d’un autre locataire.  A Fontenay-aux-Roses, Mme Thiébault guette une nuit entière sa rivale qui partout la raille « Mme Thiébault est une femme trop bornée pour retenir un homme… Elle ne sait pas s’y prendre… Elle aura beau faire, elle ne me retirera pas son mari ; il ne l’aime pas. Il est fou de moi ». En partant à Fontenay, elle a pris un flacon d’acide sulfurique qu’elle brisera sur les pavés.  Ce qu’elle n’a pas osé faire à Fontenay, elle le fera à Enghien-les-Bains.  Le 3 août 1860,  Alexandrine Thiébault, accompagnée de son frère Amable Yvoret, ouvrier photographe chez Thiébault  se rend dans la maison de campagne d’Enghien. « Un de ces chalets parfaitement bien disposé pour le plaisir et la débauche » La porte d’entrée est ouverte, Edouard Thiébault s’est momentanément absenté. Le frère et la sœur trouvent, une fois encore, Léonide couchée dans le lit conjugal. Outrée, l’épouse légitime agresse physiquement sa rivale. « Oui, je l’ai attaquée, je l’ai frappée aussi longtemps, aussi fort que j’ai pu ; oui, je l’ai battue, je l’ai griffée je l’ai égratignée, car j’étais une lionne, je ne le nie pas, une lionne acharnée ; n’a-t-elle pas, cette femme, déchirée ma vie par morceaux ?... » En plus des coups, Mme Thiébault jette de l’acide sulfurique sur Léonide avec l’intention avouée de la défigurer.   Quelques jours plus tard, l’avocat de la victime découvre une femme qui a « la tête enflée, l’œil atone, couverte d’excoriations qui mettaient à nu le cuir chevelu, laissant de grandes places sans cheveux et à la place une sorte de bouillie sanglante, les oreilles déchirées, les mains brûlées, le sein brûlé, le ventre brûlé, les bras brûlés… »

Alexandrine Thiébault et Amable Yvoret comparaissent devant la cour d’assises de Versailles les 24 et 25 novembre 1860. L’affluence est considérable « beaucoup de curieux ne trouvent place que dans les couloirs où ils se tiennent debout ».  Mme Thiébault est défendue par un grand avocat, Maître Lachaud. « La femme, que je défends, s’est révélée dans toute sa grandeur…  Elle a déchiré la peau de celle qui lui a déchiré le cœur… »  A la demande de sa cliente, l’avocat va minimiser le rôle d’Amable Yvoret qui aurait été témoin et non acteur de l’agression mais surtout Me Lachaud épargne Eugène Thiébault qui sera pitoyable à ce procès « C’est moi qui devrais être là, non pas eux ! ». Interrogée sur son inexplicable indulgence envers son mari, Alexandrine répond fièrement « Ne nous est-il donc pas permis à nous autres femmes d’aimer l’homme auquel nous sommes unies pour la vie ? »

Mme Thiébault a fait forte impression auprès du public et des juges. La condamnation n’est pas sévère.  Elle et son frère devront payer à la demoiselle Turc un capital de 6 000 Fr et lui verser une rente annuelle de 1 200 Fr qui sera garantie par le dépôt d’une somme de 30 000 Fr à la Caisse des consignations.

Quelques jours plus tard, Mme Thiébault comparaît seule devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour l’agression qu’elle avait commise à Belleville contre Léonide Turc. Elle est condamnée à verser 5 Fr d’amende à la victime, le minima de la peine. Le procureur jugeant le montant dérisoire fait appel mais la cour impériale confirmera le jugement du tribunal correctionnel.

On ne sait ce qu’il advint de Léonide Turc. Quant à Thiébault, surveillé de près par sa légitime, il avait intérêt à se tenir à carreau.

 Sources :

Gallica – « Mémorial du commerce et de l’industrie » (1863)  Incompétence de la justice  de paix pour juger le recours de Platel, ouvrier photographe,  contre Edouard Thiébault qui l’avait renvoyé pour insuffisance après une journée de travail. Ce différend relevait du conseil des prud’hommes des produits chimiques de la Seine.

Marie Delaporte contre Thiébault.

Gallica  –  « La Revue photographique » (1860) ;    « Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire (1860).  Article 556.

Outrage aux bonnes mœurs.

Gallica –   « La Gazette des tribunaux » des 22 juillet, 5 et 11 août 1865

Une liaison dangereuse, un procès retentissant

Gallica  -   « Revue des grands procès contemporains » (1893) pages 499 à 517.

Ce procès devant la cour d’assises de Versailles a été relaté par la presse parisienne et provinciale : « Le Constitutionnel » des 26 et 27 novembre 1860,  « Le Siècle » du 27 novembre 1860, « Le Journal du Loiret » du 29 novembre 1860…