Antoine René TRINQUART

(1814-1871)
Photographe d'atelier
4 photographies

Paris Seine

Fils d’un marchand orfèvre, Antoine René Trinquart est né le 2 février 1814 à Blois (Loir-et-Cher). Il est né douze ans avant sa soeur Marie Valérie. Installé à Paris, le jeune Antoine René Trinquart pratique le chant avec une prédilection pour des chansonnettes de sa composition. Tenté par les planches, il met sa carrière de chanteur entre parenthèses et fait, en mai 1841, ses débuts de comédien au théâtre du Gymnase dans "Michel et Christine" (1). Sa carrière d’artiste dramatique semble s’être arrêtée là. Il revient au chant, une passion qu’il partage avec sa jeune soeur. "L’Album de la Sainte-Cécile", daté du 1er mars 1846, la présente comme "une jeune et jolie cantatrice que tous les salons se disputent." Chanter le soir dans les salons parisiens ne suffisant pas à le faire vivre, Antoine René Trinquart doit travailler dans la journée. En septembre 1846, alors qu'il est employé, il dépose un brevet d'invention pour un métier à broder dit métier à compas. En 1852, quand il se marie, il est sous-chef à l’administration des Messageries nationales. Il aurait été ensuite employé dans une fabrique d’orgues puis dans une menuiserie.

                                   Petit & Trinquart , "La Photographie des Deux Mondes"

Rien, si ce n’est ses relations dans le milieu artistique parisien, ne  prédestinait Trinquart à se lier au photographe Pierre Petit. Pourtant, les deux hommes s’associent au printemps 1859. Pierre Petit est l’artiste "qui n’entend rien aux affaires", le photographe qui règne en maître dans l’atelier du 21, place Cadet à l’enseigne "Photographie des Deux Mondes" ; Trinquart, lui, est l’administrateur, le comptable chargé de la partie commerciale d’une entreprise qui va s’avérer florissante. La première année, le bénéfice est de 10 000 francs ; l’année suivante, il s’élève à 80 000 francs. Ce n’est pas rien. "L’Artiste" craint  que son comptable lui mange un peu trop la laine sur le dos. La société est dissoute au bout de vingt-deux mois d’existence. Les deux mondes, l’Art et la finance, se séparent. Petit verse à Trinquart une indemnité de départ de 80 000 francs. Ce dernier, en contrepartie, s’engage à ne pas ouvrir un atelier dans un périmètre de 1 000 mètres autour de la place Cadet et à ne jamais faire mention qu’il avait été l’associé du photographe Pierre Petit. Trinquart vers la fin de l’année 1861 s’installe 23, rue Louis-le-Grand et le fait savoir par voie d’affiches  : "Ouverture des nouveaux ateliers de M. Trinquart". Pierre Petit réagit en intentant un procès pour concurrence déloyale à son ancien associé. L’affaire est jugée par le tribunal de commerce de la Seine le 13 mars 1862. Les juges constatent que le nouvel atelier est situé à plus de 1 000 mètres de la place Cadet et que Trinquart n’a jamais mentionné le nom de son ancien associé dans sa publicité. La demande de Pierre Petit est jugée non recevable. (2)

                                  Trinquart, un photographe doué pour les relations publiques.

Lors du procès, l’avocat de Pierre Petit avait insisté sur le fait que Trinquart ne ne s’était jamais occupé de photographie "M. Trinquart n’a jamais fait un seul portrait." Sans doute n’a-t-il rien appris de la technique photographique pendant les deux ans où il a été l’associé de Pierre Petit mais il a pu constater, en bon comptable, qu’un atelier de photographie, sous le Second Empire, apportait des revenus confortables à celui qui savait mettre son travail en valeur. Dans l’atelier de la rue Louis-le-Grand, Trinquart n’avait nul besoin d’être un fin connaisseur de la technique photographique, ses employés étaient payés pour faire de beaux portraits de célébrités , l’important était qu’ils soient signés Trinquart et que la presse en parle. En ce domaine, il avait acquis un vrai savoir faire. En février 1862, Trinquart "dont le talent de photographe est connu et apprécié de tous, vient d’être chargé par la Porte Saint-Martin de représenter tous les groupes, tous les artistes avec costumes qui figurent dans le magnifique balle de de la "Grâce de Dieu" (3). "Nommer le photographe, c’est nommer l’artiste auquel nous devons de si charmantes productions artistiques. Ses groupes du magnifique ballet que nous avons tous applaudi à la Porte Saint-Martin, suffiraient pour lui assurer  une vogue, si déjà depuis longtemps il ne l’avait conquise." (4) En octobre 1862, les lecteurs du "Tintamarre" apprennent que le photographe " a été chargé de faire les portaits-cartes de tous les élèves de nos lycées impériaux... il n’en continue pas moins la série des artistes dramatiques."(5) Trois ans plus tard, il offre au Prince Impérial "un magnifique album renfermant les portraits des élèves les plus distingués qui ont eu le bonheur d’assister à la fête que leur a offerte son Altesse Impériale le 27 janvier dernier."(6) En novembre 1864, le même journal relève que "Depuis le voyage du roi d’Espagne à Paris, l’élite de la société espagnole et hispano-américaine se donne rendez-vous dans les salons de photographie de Trinquart, 23 rue Louis-le-Grand. La perfection de ses épreuves, le choix et le bon goût de ses poses dont il s’occupe toujours lui-même, justifient le succès obtenu par cet habile artiste."(7) Trinquart se surpasse, selon "Le Figaro" pour mettre en valeur la belle Mme Lloyd dont la toilette avait fait sensation au bal des Tuileries. "L’habile artiste a su reproduire les cheveux blonds, le teint blanc, la robe bleue de son modèle... Il est douteux qu’aucun autre artiste ait pu obtenir une réussite aussi complète pour une chose réputée jusqu’alors impossible..." (8) Quelques semaines plus tard, le même journal rappelle que "l’habile photographe s’est acquis une réputation grandement méritée par sa spécialité pour l’application de la Photochromie ou photographie rehaussée à l’huile. Ce genre de portraits, fort en vogue depuis quelque temps, tout en conservant la ressemblance mathématique de la photographie, à l’inappréciable avantage d’imiter le faire des grands maîtres en peinture et de rester néanmoins à la porté de toutes les bourses."(9)  En janvier 1867, Trinquart donne dans son atelier une grande réception où se pressent  "nombre de jolies femmes et d’hommes distingués." Tout ce beau monde est venu écouter des artistes lyriques. Après un intermède "M. Trinquart, en personne, a retrouvé son ancienne verve, pour dire quelques unes de ses spirituelles chansonnettes qui lui avaient valu autrefois une réputation méritée. Une sauterie sans prétention a terminé cette charmante soirée qui s’est prolongée jusqu’à trois heures du matin."(10) Carjat, artiste plus affirmé que Trinquart, avait lui aussi donné une soirée avec concert. Sous le Second Empire, les grands photographes parisiens savaient faire parler d’eux et s’en donnaient les moyens.

En juillet 1869, Trinquart a quitté la rue Louis-le-Grand, il exerce désormais 10, rue de Port-Mahon. C’est là qu’il décède le 31 janvier 1871 à l’âge de 56 ans. Un an et demi après son décès, le 6 juillet 1872, son atelier est mis en vente au prix de 15 000 francs et ne trouve pas preneur. (11) Après plusieurs baisses successives, il est adjugé 11 700 francs le 4 février 1873 à Mlle Valois mais c’est E. Bernier qui se présentera comme le successeur de Trinquart. Au printemps 1876, la photographie Trinquart est transférée 40, boulevard Bonne-Nouvelle.

Sources :

INPI - Base brevets du XIXe siècle - 1BB4326

Gallica (1) - Le Ménestrel - 23 mai 1841. (2) - Le Temps - 25 mars 1862. (3) - Le Tintamarre - 16 février 1862. (4) - Le Tintamarre - 1er juin 1862. (5) - Le Tintamarre - 26 octobre 1862. (6) - Le Figaro - 19 février 1865. (7) - Le Figaro - 27 novembre 1864. (8) - Le Figaro - 2 février 1865. (9) - Le Figaro - 1er octobre 1865. (10) - Le Ménestrel - 27 janvier 1867.

(11) Marc Durand "De l'Image fixe à l’image animée 1820-1910" Archives nationales - 2015