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Adalbert WAGNER
(1812-1870)
Comédien puis photographe
Auguste Adalbert Wagner est né le 22 février 1812 à Paris, fils de Pierre Wagner et de Marie Josèphe Mouton. Ses deux parents étaient décédés quand il épouse le 24 septembre 1833 sa compagne Marie Albertine Richer avec laquelle il vit 33, rue du Temple. Deux ans plus tard, le 19 septembre 1835, leur fille Albertine Augusta voit le jour 4, rue de Vanves. Fille d’un couple d’artistes dramatiques, la petite Albertine a dû être quelque peu ballottée pendant son enfance.
LES COMEDIENS :
Au XIXe siècle, la plupart des artistes se choisissent un nom de scène. Sur les planches des théâtre parisiens, Adalbert Wagner est Adalbert et son épouse Mme Adalbert.
ADALBERT : Le 20 septembre 1832, au théâtre Montmartre est donnée la première représentation de « La Sylphide » drame en deux actes, mêlé de chant imité du ballet de M. Taglioni, par MM Jaime et Jules Seveste. (1) Dans le rôle d’un paysan écossais, Aldebert (sic) a droit à quelques répliques au deuxième acte. (2). Un petit rôle certes mais Adalbert n’a que 20 ans. Huit ans plus tard, en décembre 1840, sur les planches du théâtre Saint-Antoine, il partage l’affiche avec Marie Bonneval dans « La Fille du Mari de ma Femme » « une jolie bluette jouée avec talent… qui continue d’attirer la foule ». (3) Le 27 septembre 1843, à l’Ambigu-Comique, est donnée la première représentation des « Bohémiens de Paris » un drame en cinq actes où Adalbert s’est vu confier le rôle de Plure d’Oignon. (4) Le 5 mars 1848, quelques jours après les journées révolutionnaires de février, Adalbert et Montdidier montent sur la scène du théâtre de l’Ambigu où ils interprètent, pendant les entractes, des chants patriotiques. (5)
ADALBERT A BATAVIA : Le 12 août 1848, dix-neuf artistes dont Adalbert embarquent au Havre pour un long voyage qui les mènera à l’ile de Java. (6) Au printemps 1849, ils atteignent Batavia, capitale des Indes néerlandaises (aujourd’hui Djakarta, la capitale de l’Indonésie mais qui ne le sera bientôt plus). La ville, en plein développement, compte 130 000 à 140 000 habitants dont plusieurs milliers d’Européens. (7) La communauté française n’est pas la plus nombreuse mais dispose de son théâtre. C’est sur cette scène qu’Adalbert et ses collègues joueront sans que l’on sache quelles pièces ils ont interprétées. En janvier 1851, alors que Théodore Couget, le directeur du théâtre français, est parti à Paris à la recherche de nouveaux talents, Adalbert et son collègue Pottier, le remplacent. (8) A Batavia, Adalbert sera rejoint par son épouse qui fera partie de la troupe du théâtre français de 1851 à 1853.
Mme ADALBERT A SAN FRANCISCO : Nous sommes peu documentés sur la carrière de Mme Adalbert. En septembre 1849, au théâtre de l’Ambigu, elle joue dans « Le Juif errant » sans convaincre la critique : « Madame Adalbert qui a repris le rôle de Céphyse après mademoiselle Lucie, manque de l’ampleur nécessaire à ce rôle, ampleur que mademoiselle Lucie exagérait, ce qui rend l’insuffisance de madame Adalbert plus frappante ». (9) Est-ce parce que les théâtres parisiens la dédaignaient qu’avec d’autres comédiennes elle débarque à San Francisco en 1850 ? Deux ans plus tôt, la ville comptait 1 000 habitants ; la ruée vers l‘or en attira des milliers d’autres dont des Français. (10) Pour les Européens, la Californie n’est accessible que par la voie maritime avec un passage par le cap Horn. Après une traversée de plusieurs mois, ils débarquent à San Francisco dont le port est encombré par une multitude de bateaux abandonnés par leurs hommes d’équipage tous partis en hâte chercher de l’or, C’est peut-être la raison pour laquelle, ce sont des femmes -et seulement des femmes- qu’un imprésario a fait venir à San Francisco. Le 22 décembre 1850, Mesdemoiselles Racine, Adalbert et Eléonore, naguère pensionnaires des théâtres de l’Ambigu et du Cirque de Paris, (11) se produisent sous le nom de The French Vaudeville Company. (12) Au programme, des pièces en un acte qui avaient été des succès à Paris : « Jobin et Nanette », « Le Commis et la grisette ». Pendant les entractes, les trois femmes interprètent des chansonnettes. Devant le succès, « The French Vaudeville Compagny » donnera deux représentations chaque semaine. Après sa tournée américaine, Mme Adalbert aurait traversé l’océan Pacifique et rejoint son mari à Java. Dans son « Dictionnaire des comédiens français », Henry Lionnet indique qu’elle a fait partie de la troupe du théâtre français de Batavia de 1851 à 1853.
RETOUR A PARIS : Leur long séjour à l’étranger a éloigné le couple des scènes parisiennes. Cependant, en mai 1854, Adalbert est distribué dans « Les Contes de la mère de l’oie ». « Adalbert est une ancienne connaissance que nous avons applaudi il y a une dizaine d’années à l’Ambigu et que le public a revu avec plaisir dans les rôles de l’Ogre et de Barbe-Bleue » (13) Quelques mois plus tard, il fait partie de la distribution des « Rues de Paris » un drame populaire à grand spectacle où il interprète « La Ronde des halles » une chanson « fort bien chantée… qui ne tardera pas à devenir populaire ». (14) Maigre consolation pour Adalbert dont le nom disparaît de la chronique théâtrale des journaux parisiens.
LE PHOTOGRAPHE :
Après avoir passé plus de vingt-cinq ans sur les planches, Adalbert, le comédien, devient Adalbert Wagner, le photographe. Une reconversion qui n’a rien de surprenante. Sous le Second Empire, les comédiens et plus encore les comédiennes fréquentaient assidument les ateliers de photographie où ils se mettaient en scène dans leurs costumes de théâtre. Les deux métiers avaient partie liée. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’Adalbert Wagner se soit intéressé à la microphotographie en améliorant -du moins le prétendait-il- les procédés inventés par les Anglais. (15)
Au printemps 1859, la Société française de photographie organise sa troisième exposition présentée au Palais de l’Industrie, juste à côté du prestigieux Salon des beaux-arts. Wagner expose trois portraits au collodion humide qui devaient faire pale figure comparés à ceux de Le Gray, Nadar ou Disdéri mais aussi une série d’épreuves microscopiques. (16) Son fait d’arme est d’avoir réduit une grande affiche à une minuscule épreuve. Pas n’importe quelle affiche, celle qui reproduisait la proclamation aux Français de Napoléon III qui venait de déclarer la guerre à l’Autriche. Adalbert Wagner avait réduit ce texte de 2,649 lettres à une épreuve de 2 millimètres carrés. Néanmoins, le texte était très distinctement lisible au moyen d’un microscope. « La Causerie, journal des cafés et des spectacles » en fait l’éloge le 1er mai 1859 dans un article qui relève plus de la publicité rédactionnelle que de la critique : « … Les procédés de nos voisins d’outre-Manche nous sont maintenant connus et la micro-photographie que les Anglais ont découverte, est exploitée chez nous aujourd’hui d’une façon tout à fait miraculeuse. C’est M. Adalbert Wagner, photographe 20, rue de Saintonge au Marais, qui le premier en France, a importé la micro-photographie. Ses procédés sont complétement différents des procédés anglais, et ses résultats tiennent vraiment du prodige… » (17) Prodige ou pas, la microphotographie n’était encore en 1859 qu’un objet de curiosité. Onze ans plus tard, René Dagron en démontrera tout l’intérêt. Grace à son procédé, on réduira les dépêches télégraphiques fixées aux pattes des pigeons voyageurs. Pendant le siège de Paris par l’armée prussienne (septembre 1870 – janvier 1871), ce fut quasiment le seul moyen de communication entre la capitale et la Délégation du gouvernement provisoire de Défense nationale installée à Tours puis à Bordeaux.
Quant à Wagner, son procédé de microphotographie n’offrant guère de débouchés commerciaux, il en était réduit à faire des portraits d’atelier, notamment ceux d’artistes qu'il avait pu croiser dans les théâtres parisiens. Dans le Bottin, il est mentionné jusque dans l’édition de 1862. On ignore comment il a vécu les dernières années de sa vie.
Auguste Adalbert Wagner, artiste dramatique, âgé de 58 ans, est mort le 16 mai 1870 à l’hospice de Joigny (Yonne). Son épouse lui survivra treize ans. Rentière, Marie Albertine Richer, est décédée le 22 mai 1883 à son domicile, rue de Richelieu à Paris (9e). Quand ses petits-enfants venaient la voir, elle pouvait leur raconter comment, pendant la ruée vers l’or, elle était partie jouer la comédie et chanter sur une scène de San Francisco.
Notes et sources :
(1) Donné pour la première fois à l’Opéra de Paris le 12 mars 1832, « La Syphilde » est un ballet romantique créé par Filippo Taglioni pour sa fille Marie qui triompha dans ce rôle. Petite révolution, la danseuse était vêtue d’une robe de mousseline qui faisait bouffer des jupons de crêpe, ce fut le premier tutu. Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Sylphide.
Le succès de ce ballet incita Ernest Jaime et Jules Seveste à le transformer en un drame en deux actes. En 1856, « Le Figaro » consacra plusieurs articles à Jules Seveste, mort deux ans plus tôt. Léon Beauvallet raconte que lors d’une représentation d’une pièce où chaque comédien jouait un animal, Prosper Bressant -dit Théodore-, futur sociétaire de la Comédie-Française, avait fait des farces à ses collègues qui portaient tous un masque. Adalbert était un bouc dont Théodore avait enduit le masque de moutarde qu’il avait saupoudré de poivre. Adalbert se mit furieusement à éternuer, incapable de prononcer le moindre mot. Quant à ce pauvre Davenne qui jouait un ours blanc, il ne put entrer en scène malgré les supplications du régisseur, Théodore ayant discrètement cloué son costume au plancher. Le journaliste précise que Théodore s’était livré à ces méfaits lors d’une représentation de « La Sylphide » en 1832. Il a tort. « La Sylphide » se passe en Ecosse ; or dans les Highlands on ne risquait pas de croiser un ours blanc.
RetroNews – « Le Figaro » du 31 juillet 1856.
https://www.retronews.fr/journal/le-figaro-1854-/31-juillet-1856/104/536633/5
(2) Gallica « La Sylphide. Drame en deux actes, mêlé de chant, imité du ballet de M. Taglioni, par MM Jaime et Jules Seveste représenté pour la première fois sur le Théâtre Montmartre le 20 septembre 1832 ».
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k134071s/f1.item
(3) RetroNews « Le Temps » du 29 décembre 1840.
https://www.retronews.fr/journal/le-temps-1829-1842/29-decembre-1840/1205/3645271/3
(4) Gallica « Les Bohémiens de Paris – drame en cinq actes et huit tableaux par MM Adolphe D’Ennery et Grangé représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu-Comique le 27 septembre 1843 ».
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64594511.texteImage
(5) RetroNews « Le Commerce » du 5 mars 1848.
(6) RetroNews « Messager des théâtres et des arts » du 9 mars 1849.
(7) Bescherelle Aîné « Grand dictionnaire de géographie universelle ancienne et moderne » (1857) « D’après le recensement officiel de 1832, la population se composait de 2,800 Européens, 80,000 indigènes, 25,000 Chinois, 1,000 Arabes et 9,500 esclaves… Les Européens y vivent dans l’opulence, et ne sortent qu’en voitures attelées de deux, quatre et même six chevaux ; ils dédaignent toute espèce d’occupation manuelle… »
(8) RetroNews « Messager des théâtres et des arts » des 30 mars et 6 avril 1851.
(9) RetroNews « Messager des théâtres et des arts » du 25 septembre 1849.
(10) « Le Monde » du 21 juillet 2020. Corine Lesnes « Ruée vers l’or : San Francisco, le Paris du Pacifique ».
(11) RetroNews « Le Mineur, interprète des mines de Californie » du 14 avril 1851.
Quatre mois après la première représentation, la presse parisienne avait reçu l’affiche du spectacle donné à San Francisco avec le nom des trois interprètes : Mesdemoiselles Racine, Adalbert et Eléonore. La première est Elisa Racinet -dite Racine- qui avait fait partie de la troupe de l’Ambigu de 1843 à 1846, la troisième serait Eléonore Doublier, femme Duplanty, qui avait joué au Théâtre de l’Ambigu entre 1814 et 1831. Plus âgée, c’est elle qui interprétait les rôles d’hommes à San Francisco.
https://www.retronews.fr/journal/le-mineur/14-avril-1851/3224/4948210/1*
(12) Frederic Patto « The Pioneers of French Theater in San Francisco ».
https://mercisf.com/2020/09/29/the-pioneers-of-french-theater-in-san-francisco-by-frederic-patto/
(13) RetroNews « Messager des théâtres et des arts » du 21 mai 1854.
(14) RetroNews « Le Tintamarre » du 3 septembre 1854.
(15) L’un des pionniers de la microphotographie en Grande-Bretagne a été John Benjamin Dancer (1812-1887), opticien à Manchester (Source : Albert Balasse – Le Compendium). Or, au début de son article sur les épreuves microscopiques publié dans « Le Photographe » du 4 janvier 1914, Ernest Coustet écrit ceci : « En 1858, un photographe de Manchester, M. Wagner exécutait sur papier albuminé des épreuves extraordinairement réduites. Ces miniatures furent la merveille – nous dirions aujourd’hui le clou – de l’Exposition de Photographie qui se tint, à Paris, l’année suivante au Palais de l’Industrie… ». (Gallica « Le Photographe » du 4 janvier 1914).
Même si cela reste à confirmer, il ne serait pas surprenant qu’Adalbert Wagner ait traversé la Manche pour rejoindre la grande ville industrielle anglaise où il aurait été comédien puis photographe.
(16) Catalogue de la troisième exposition de la Société française de photographie consultable en ligne sur le site de la S.F.P. Outre Wagner, deux Français installés à Paris exposaient au Palais de l’Industrie des épreuves microscopiques : Bernard, 32, rue des Marmousets et Nachet 16, rue Serpente. Contrairement à Wagner, ils n’étaient pas photographes mais fabricants d’instruments de précision. Aucun des trois n’a déposé de brevet d’invention relatif à la microphotographie.
(17) Gallica « La Causerie, journal des cafés et des spectacles » du 1er mai 1859 et « La Revue photographique » année 1859 page 203.
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