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Modeste CHAMBAY
(1827-1899)
Photographe d'atelier
3 photographies
Paris Seine Port-Louis Ile Maurice
Fils d’un fabricant de toile, Modeste Chambay est né le 10 octobre 1827 à Damigny, un bourg de l'Orne situé à 3 kilomètres d'Alençon. Adolescent, il sera l'élève du graveur sur bois Pierre François Godard (1797-1864) dit Godard II d'Alençon (1) artiste qui a fourni beaucoup de planches qui illustraient "Le Magasin pittoresque". (2)
DAGUERREOTYPEUR : En novembre 1850, Modeste Chambay, âgé de 23 ans, séjourne à Rennes (Ille-et-Vilaine) où il expose des portraits au daguerréotype. « Le Journal de Rennes » en fait l’éloge : « Les portraits au daguerréotype font fureur depuis quelque temps, si on en juge du moins par les expositions étalées pour ainsi dire à chaque coin de rue ; il n’est donc pas inopportun de signaler à nos lecteurs et lectrices les qualités d’un bon portrait en ce genre, afin qu’ils puissent faire, en connaissance de cause, la comparaison des œuvres… Toutes ces qualités d’une parfaite épreuve daguerrienne, nous les avons reconnues dans les portraits de M. Chambay, ancien artiste dessinateur du Magasin Pittoresque, élève de Godard (d’Alençon), et actuellement en séjour dans notre ville. Ce jeune artiste expose peu, et nous ne lui en faisons pas de reproches. Les personnes cependant qui voudraient juger son talent peuvent voir le charmant portrait de Mme Dujardin exposé au magasin de la rue de Bourbon ; tout le monde sait que les portraits de femme sont d’une exécution et d’une réussite plus difficiles ; celui dont nous parlons est délicieux sous tous les rapports » (3)
Chambay a-t-il fait des portraits au daguerréotype dans d’autres villes bretonnes ? C’est possible. Lors du règlement de la succession de son père, en octobre 1851, il est dessinateur à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) mais revient dans l’Orne peu après. En septembre 1853, il est de retour à Rennes où il est dessinateur. C’est sans doute en Bretagne que Chambay rencontre le photographe Alexandre Guillaume Louis Lecorgne avec lequel il part à l’ile Maurice en 1854. (4)
ILE MAURICE : Quand les deux jeunes français débarquent à Maurice, l’ile est anglaise depuis quarante ans mais les Européens qui vivent sur place descendent pour la plupart d’anciennes familles nobles de France. C’est eux qui viendront faire leur portrait chez Lecorgne et Chambay. Quand ils sortent de leur atelier, les deux hommes arpentent l’île et photographient la population indigène. Comme tant d’autres avant lui, Chambay s’intéresse de près à l’épineux problème de la reproduction des couleurs. Il met au point dans son atelier un procédé dont on ne connait pas le détail et qui n’a jamais été breveté. Le journal francophone de l’ile Maurice, « Le Cernéen » en informe ses lecteurs. L'article du "Cernéen"’ sera reproduit en France dans plusieurs quotidiens de province dont « Le Messager du Midi » le 19 décembre 1864 : « Vous devez savoir que, depuis longtemps, les photographes cherchaient le moyen de reproduire les couleurs… « Le Cernéen », journal de Port-Louis (île Maurice) annonce que M. Chambay, photographe distingué du pays, serait parvenu à fixer les couleurs ; l’image est prise instantanément, comme pour toute espèce de photographie. Le relief et le modelé sont merveilleux, la vie circule sous la peau ; la couleur est inaltérable ; les portraits, qui offrent une ressemblance incroyable, peuvent rivaliser avec tout ce qu’il y a de plus beau en fait de pastels, d’aquarelles et de miniatures. M. Chambay va transporter son procédé à Paris. Même en faisant part de l’exagération, ce serait une conquête importante de plus pour la science moderne ». (5) Après avoir passé une dizaine d’années à Maurice, Modeste Chambay revient en France mais conserve la propriété qu’il avait acquise dans l’île. (6)
PARIS : Le 12 mai 1866, à la mairie du 8e arrondissement, Modeste Chambay, propriétaire qui approche de la quarantaine, épouse Joséphine Marie Bouet qui a dix-sept ans de moins que lui. Elle est la fille de René Simon Bouet, photographe, Cas de figure classique au XIXe siècle, Modeste Chambay succède à son beau-père dans l’atelier du 25, avenue Montaigne. En août 1866, Chambay et Bouet obtiennent un brevet d’invention pour un « procédé photographique à l’aide de deux épreuves réunies ». (7) Deux ans plus tard, les mêmes conçoivent un vélocipède à roue jumelle qu’ils font aussi breveter. (8) Avenue Montaigne, Modeste Chambay pouvait faire poser des chevaux. Selon un rédacteur du journal « Le Jockey » « nul photographe ne rend les chevaux aussi bien que M. Chambay… J’ai vu là (avenue Montaigne) des portraits de chevaux parfaitement réussis, rendant à souhait la physionomie de l’animal et jusqu’à sa couleur. C’est que M. Chambay a trouvé un nouveau procédé pour donner à ses portraits une couleur vraie et inaltérable sans le secours du pinceau ». (9)
LE PHOTOGRAPHE DU GRAND-HÔTEL : En 1873, Chambay transfère son atelier 12, boulevard des Capucines où il opère à l’étage supérieur du Grand-Hôtel (10) auquel on accède en empruntant un ascenseur. Fini les portraits d’équidés, le photographe change de monture et se spécialise dans les portraits d’enfants qui, eux, dûment accompagnés de leur mère ou de leur nourrice, peuvent prendre l’ascenseur. En juin 1876, « Le Moniteur de la photographie » claironne que « la réputation de M. Chambay comme « photographe des enfants » est universelle et bien méritée » (11) Quinze ans après son installation au Grand-Hôtel, « Le Figaro » croit bon de rappeler à ses lecteurs que Chambay « excelle à saisir instantanément la physionomie si mobile des enfants… » (12) Vers 1891, le photographe quitte le Grand-Hôtel du boulevard des Capucines pour le 33, rue Victor-Massé. Il reste dans le 9e arrondissement mais s’éloigne des grands boulevards et y perd sans doute une bonne partie de sa clientèle. Modeste Chambay fermera son atelier parisien en 1895.
ALENCON : Solidement établi dans la capitale, Modeste Chambay n’avait pas oublié ses origines normandes et séjournait régulièrement dans l’Orne. (13) Au printemps 1871, alors que Communards et Versaillais se battent dans les rues de Paris, le photographe s’est replié à Alençon. Il opère dans l’atelier que son collègue Alphonse Veillon a mis à sa disposition « Le Journal d’Alençon » du 3 juin 1871 précise que Chambay fait ses portraits « par son nouveau procédé sur papier mat ». (14) Durant l’été 1880, « le photographe du Grand-Hôtel » séjourne à nouveau dans l’Orne. « Le Journal d’Alençon » informe ses lecteurs que Modeste Chambay, avec son procédé spécial sur émail, peut restaurer les daguerréotypes : « On sait avec quelle rapidité les photographies ordinaires et les anciens Daguerréotypes tendent à s’effacer et à disparaître… Eh bien ! M. Chambay se charge de donner du ton et de la vie à ces vieux portraits et leur assure une durée infinie… » (15) En juillet 1890, alors qu’il est encore « le très habile photographe du Grand-Hôtel de Paris », Chambay fait à Alençon des portraits et obtient de magnifiques résultats par son nouveau procédé de photographie sur papier ivoire. Les prises de vue ont lieu à Alençon dans l’atelier de M. Martin, rue du Pont-Neuf, mais les portraits sont terminés dans les ateliers parisiens de Chambay qui insiste sur le fait que « les clients qui s’adresseront à lui à Alençon profiteront d’une réduction très sensible sur les prix de Paris ». (16)
Bientôt septuagénaire, Modeste Chambay met fin à sa carrière de photographe et prend sa retraite à Condé-sur-Sarthe, un bourg de l’Orne situé non loin d’Alençon. En 1882, il y avait fait bâtir une grande demeure dénommée « château de la Cusselière ». Il y est décédé le 6 mai 1899.
Notes et sources :
(1) Wikipedia Notice biographique de Godard d’Alençon.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Godard_II_d%27Alen%C3%A7on
(2) Wikipedia « Le Magasin pittoresque »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Magasin_pittoresque
(3) « Le Journal de Rennes » du 28 novembre 1850. Collection mise en ligne par La bibliothèque de Rennes – Métropole.
(4) Le 11 janvier 1854, Modeste Chambay, domicilié 226, rue Saint-Honoré, donne procuration à Pierre Chambay, demeurant à Damigny, pour gérer et administrer ses biens. (Marc Durand « De l’image fixe à l’image animée 1820-1910 » Archives nationales (2015).
(5) Gallica - « Le Messager du Midi » du 19 décembre 1864.
(6) Le 30 avril 1867, Modeste Chambay, demeurant 25, avenue Montaigne, donne procuration pour gérer et administrer une propriété à Port-Louis (Ile Maurice) (Marc Durand. Voir supra).
(7) Institut national de la propriété industrielle (INPI) Base brevets du XIXe siècle. 1BB73511 du 25 août 1866.
(8) Institut national de la propriété industrielle (INPI) Base brevets du XIXe siècle. 1BB82774 du 15 octobre 1868.
(9) RetroNews – « Le Jockey » du 9 juillet 1867. Sous le Second Empire, le plus grand spécialiste de la photographie équestre était Jean-Louis Delton (1807-1891) ce que le rédacteur anonyme du « Jockey » ne pouvait ignorer.
(10) Dans la perspective de l’exposition universelle de 1867, les frères Pereire font bâtir en 1861 le Grand-Hôtel qui occupe tout un ilot du 9e arrondissement. A l’origine, l’hôtel comptait 800 chambres et 45 salons. Il est inauguré le 5 mai 1862 par l’impératrice Eugénie. (Site Parispromeneurs. Découvrez l’architecture de Paris et son histoire. https://paris-promeneurs.com/le-grand-hotel-l-intercontinental/
(11) Gallica – « Le Moniteur de la photographie » du 16 juin 1876.
(12) RetroNews – « Le Figaro » du 22 février 1888.
(13) " Images révélées – 150 ans de photographies aux Archives de l’Orne » (2007)
(14) Normannia – « Le Journal d’Alençon » du 3 juin 1871.
(15) Normannia – « Le Journal d’Alençon » du 24 août 1880.
(16) Normannia – « Le Journal d’Alençon » du 13 septembre 1890.